Découvrez l'article de Manuel Soto, coordonnateur de l’équipe du soutien aux organisations.
Par Manuel Soto, coordonnateur de l’équipe du soutien aux organisations
Article paru dans l'édition 2023-2024 du Magazine du Centre St-Pierre
À la fin d’un mandat, je demande à un groupe de choisir un objet qui décrit l’expérience vécue ensemble. La directrice de l’OBNL, qui n’a pas la langue dans sa poche, prend la parole en premier et dit : « Toi, t’es comme un Kodak de l’ancien temps… ».
Je me retiens pour ne pas la ramener en rappelant que la consigne n’est pas de parler de moi, mais de ce que nous avons vécu, mais je me retiens et, prenant mon courage à deux mains, lui demande d’élaborer. Elle me dit alors : « Ben oui. T’as commencé par nous plonger dans l’acide, tu as brassé… ». Je m’assois, au cas où mes genoux flanchent. Et elle continue : « Pour révéler le meilleur de nous-mêmes. Et là, on l’a clairement devant les yeux! ».
Je raconte cette anecdote pour plusieurs raisons :
Lorsque nous sommes en position de leadership, notre pouvoir d’influence est beaucoup plus grand qu’il n’y paraît. La manière dont nous nous sentons se transmet avec une efficacité redoutable. Si je me sens confiant, je communique cette confiance et l’inverse est aussi vrai. Cela prévaut pour n’importe quelle caractéristique humaine et la transmission se passe de façon viscérale : pas par nos mots; par notre corps.
La recherche a même trouvé non pas un, mais deux noms à ce phénomène : contagion émotionnelle et empathie kinesthésique.
En un mot, comme notre corps parle bien plus que nos mots, nous devons prendre soin de nous-mêmes avant d’entrer en relation avec autrui, surtout lorsque nous sommes en position de leadership. Quelle que soit la manière dont nous arrivons à nous centrer, à être sur notre socle, nous avons le devoir d’y arriver, car la contamination va s’opérer, que nous le voulions ou pas.
Une fois que nous avons trouvé notre confort, notre axe et nos appuis, le défi est de les garder. C’est là qu’entre en jeu la décentration : passer du je au nous. Garder notre sensation de bien-être et porter notre attention à l’autre, que ce soit un groupe ou une personne. C’est là que la porte s’ouvre vraiment.
Dans les dernières années, nous entendons beaucoup les phrases : « Nous avons besoin d’une consultante. » et « Nous aimerions un clé en main » au moment où les groupes nous contactent. Dans les formations, on veut des recettes, des canevas, des gabarits qui nous permettent de réussir à tout coup. Les gens nous demandent de leur ouvrir LA porte, NOTRE porte.
Et il est très tentant de céder à la tentation. D’autant plus tentant que nous avons, au sein de l’équipe, tout pour le faire. Et si nous décidons de prendre la voie du service conseil, nous mettons toutes les chances de notre côté que l’on nous place sur un piédestal.
Si, au contraire, nous nous en tenons à l’approche qui nous définit depuis une cinquantaine d’années, basée sur les principes d’éducation populaire et d’autonomisation, nous devons nous attendre à pas mal moins de gratification à court terme. Car toute l’attention est sur la personne ou le groupe. Nous n’ouvrons pas NOTRE porte, mais les amenons plutôt à ouvrir les leurs. Et cela peut facilement nous faire dévier de notre plan, puisqu’il nous est impossible de connaître à l’avance les portes qui vont s’ouvrir. Ça prend beaucoup de courage pour prendre cette voie du développement du pouvoir d’agir.
Mais alors, pourquoi ne pas prendre cette voie et ouvrir NOTRE porte, LA porte aux gens?
Tout simplement parce que nous ne sommes pas là pour nous; ce que nous faisons, c’est pour les personnes et les groupes avec lesquels nous bâtissons une relation égalitaire, qui ne vise pas la transmission de connaissances, mais bien le transfert de compétences. À la fin d’un mandat, ce que nous visons, c’est que les gens que nous accompagnons se sentent capables, en confiance.
Quand l’attention est portée sur le groupe, la gratification est à moyen, voire à long terme. Entendre un groupe dire à quel point il est talentueux, compétent et complémentaire en fin de mandat et nous remercier de l’avoir accompagné est très différent que de l’entendre nous louanger pour notre expertise, notre maîtrise du sujet et nous féliciter pour nos gabarits tellement facilitants.
Personnellement, cela me ramène à la difficulté que j’ai eue à me faire confiance à chaque fois que mon fils me demandait d’aller à une chaîne de restauration rapide. Dire oui permet de sauver tellement de temps, utile à bien d’autres choses que cuisiner et laver la vaisselle, en plus de me rapporter un sourire et un câlin qui font tellement de bien. La gratification est immédiate. Dire non, il m’a fallu des années avant d’en voir les bénéfices. Mais ces bénéfices perdurent : je les vois encore plus clairement une vingtaine d’années plus tard.
Avec les groupes et les personnes à qui j’ai eu le courage de dire : « Je ne vais pas vous rendre la vie facile; vous allez travailler fort. », j’ai constaté exactement la même chose.
L’équipe de Soutien aux organisations (SAO) a fait le choix courageux et congruent de croire et d’adopter une posture qui se différencie de la voie du service conseil. L’équipe est consciente qu’elle va à contre-courant, mais elle continue de faire le pari de la posture d’accompagnatrice, de l’approche d’éducation populaire et des résultats à long terme. Voilà pourquoi l'équipe SAO offre cette année les CréaLabs : des programmes longs prenant la forme de communautés de pratique ou groupes de codéveloppement.
Pour en savoir plus sur nos services en SAO : centrestpierre.org/accompagnement
Pour en savoir plus sur nos CréaLabs : centresptierre.org/formations